lundi 24 août 2009

LE XX°S CHAPITRE 44 : LE MINIMALISME

CHAPITRE 44 : LA DESTRUCTION DE L’OBJET (1) : LE MINIMALISME
Jacques ROUVEYROL


I. LE MINIMALISME

INTRODUCTION

- On demeure, dans le minimalisme, avec l’idée de la disparition de l’artiste (aucune expressivité, aucune subjectivité).

- C’est l’objet qui est mis en avant. Mais un objet lui-même inexpressif : un pur produit de l’industrie, de la mécanisation, de la standardisation.

-Et, mis en avant de la façon la plus inexpressive qui soit,

-ou bien selon une idée de structure (une grille modulaire)
-ou bien selon les propriétés mêmes de l’objet (process art)


1. La grille modulaire.

a. Les structures relationnelles du cubisme synthétique sont exclues.

Par « structures relationnelles », il faut entendre le fait que les différentes portions d’espace mises ensemble dans un tableau cubiste synthétique sont liées (par collage), tiennent ensemble, comme, par soudure (ou par collage, encore), les différents éléments d’une sculpture cubiste.


b. La grille modulaire des minimalistes met en place des structures non relationnelles. Son essence est la répétition. Le tableau hyperréaliste réalisé à partir d’une carte postale dont on reporte carré par carré d’un centimètre l’image sur la toile, sans se préoccuper, d’un carré à l’autre de « ce que ça représente », ce tableau ne lie pas entre eux ses éléments (même s’ils le « paraissent » au bout du compte). La grille carré par carré est une grille modulaire. Le processus est évident, par exemple, dans Chuck Close Autoportrait.




Ainsi procède Donald Judd quand il aligne ses boites sur le mur. Soit l’élément : une boite. La grille : accrocher chaque élément à une distance au sol et entre les éléments qui est définie à l’avance. Donald Judd Untitled 1974






2. La parfaite objectivité

Il s’agit d’éliminer de l’œuvre tout caractère anthropomorphique. (le quadrillage, par exemple, évacue l’expression) voire tout caractère vivant.
Les constructions de Carl André (ici : Carl André Equivalent VIII 12.7x68.6x229.2cm 1966) sont parfaitement statiques et parfaitement inanimées. Leur caractère le plus souvent horizontal évacue toute possibilité d’identification « humaine ».



3. Objectivité.

a. Les constructivistes russes ou européens prétendaient révéler dans leurs œuvres des vérités objectives, partant d’une définition réaliste de la vérité : le vrai est l’accord de la théorie (de l’œuvre) avec la réalité. Les réalisations du Bauhaus, de Le Corbusier avaient cette prétention. La Cité Radieuse de ce dernier, à Marseille, est construite à partir du modulor c’est-à-dire d’une échelle humaine qui est la vérité sur laquelle doit se baser l’architecture dès lors qu’elle prétend faire habiter l’homme.

b. Les minimalistes, eux, partent d’un postulat dont ils développent seulement les conséquences, suivant en cela la définition idéaliste de la vérité : le vrai est l’accord de la pensée avec elle-même. De même qu’en géométrie si on se donne le postulat euclidien des parallèles, il en découle une géométrie où la somme des angles d’un triangle est égale à 180°, mais si on pose au départ que par un point il passe une infinité ou aucune parallèle à une droite, on en développe des conséquences tout aussi valables qui font que (dans ces espaces courbes) la somme des angles d’un triangle est supérieure ou inférieure à 180° (Riemann, Lobatchevsky) ; de même qu’en géométrie donc, l’artiste se donne un point de départ et se borne à en dérouler les conséquences logiques. Par exemple dans cette œuvre de Sol LeWitt Serial project N°1 (ABCD). Soit un module de base (l’élément), une loi de combinaison (la grille modulaire) et application.


c. En musique, cela donne la Musique Sérielle (Schoenberg, Berg, Weben).

-Chaque note vaut n’importe quelle autre note. Il y a donc non une gamme de 7 notes, mais 12 demi-tons chromatiques.
-Une série est un alignement des 12 demi-tons dans un ordre prédéfini (chaque demi-ton n’apparaissant qu’une fois).
-La série principale donne lieu à trois séries dérivées (contraire, rétrograde et contraire-rétrograde).

d. En littérature, c’est le Nouveau Roman (Robe-Grillet).

-On ne décrit plus les sentiments, la subjectivité. On décrit la surface de la réalité.
-Aux antipodes de la description balzacienne qui fait connaître la psychologie des personnages, l’environnement sociologique dans lequel ils évoluent (Le Père Goriot).
-Les objets ne disent rien de plus qu’eux-mêmes.

1. Carl ANDRE (1935 - …)

a. Au début, Carl André crée des formes. L’inspiration vient de Brancusi (Colonne sans Fin). Ci-dessous, Timber Spidle Exercise 1964 à comparer avec les colonnes dans l’atelier de Brancusi.





b. Puis, l’empilement de matériaux bruts permet une sculpture de l’espace (et non de l’objet). On passe de la forme à la structure. Voici Cedar Piece 1959-1964.




c. En renonçant à l’empilement pour la disposition, il engendre des lieux. La Colonne de Brancusi est maintenant couchée sur le sol. Témoin, Lever (National Gallery of Canada 1966 137 briques réfractaires, 11,4 x 22,5 x 883,9 cm).




Il s’agit de sculpter ou mieux : de structurer l’espace dans lequel l’œuvre est disposée. On passe ainsi de l’exposition à l’installation. « Exposition » : position de l’oeuvre dans un espace donné (indifférent). « Installation » : mise en place(s) de l’espace, structuré, façonné par l’œuvre. L’espace devient un lieu (au même sens que dans physique d’Aristote ou la philosophie et la théologie médiévales qui s’en inspirent).

De là, les Floor Pieces, damiers constitués au sol par des matériaux divers (36 copper square 0.5x300x300cm 1968, Steel-Aluminum Plain 1969) ou ces dispositions de morceaux de madriers qui orientent littéralement l’espace alentour. Par exemple : The Way North, East, South, West 1975.



2. Sol LeWITT (1928 – 2007)

a. Sculpture
Soit un cube. C’est l’élément. Soit une loi de combinaison 2-2, 1-1 : 2 cubes assemblés au premier niveau – deux autres au même niveau assemblés aux premiers mais décalés d’un cube, 1 puis 1 autre au second niveau. On obtient : Open Geometric Structure 2-2,1-1 1991.



Ou, avec des cubes pleins : Sided Pyramid, first installation 1997, fabricated 1999.




b. Les Wall Drawings et Wall Paintings
Sur le papier, un protocole qui définit un dessin. C’est une grammaire, une géométrie. Il s’agira, en adaptant aux dimensions du mur ce protocole, de produire le dessin. Cette tâche peut être réalisée par n’importe qui.



3. Dan FLAVIN (1933 – 1996)

C’est le néon, ces tubes fabriqués de façon industrielle, qui intéressent Dan Flavin. Plutôt que des sculptures, ses œuvres se présentent comme des propositions.
La référence à Brancusi, comme chez Carl André, est ici évidente. The diagonal of May 25 1963, ci-dessous, est l’équivalent technologique moderne de la colonne sans fin de Brancusi (Colonne sans fin, Tirgu Jiu , Roumanie, bronze,1937-38) compris comme totem mythologique.




Des pièces modulaires, comme les objets spécifiques de Judd. A partir d’éléments comme chez LeWitt ou chez Carl André une combinaison selon un règle prédéfinie donne lieu à un « objet » qui, encore une fois, est bien plus une structure qu’une sculpture. Ci-dessous : une installation en 2008.




4. Donald JUDD (1928 – 1994)

a. Les objets spécifiques
L’impact visuel de l’objet produit est très sensiblement plus fort que celui de la peinture. Cela tient à ce qu’il est ouvert sur tout, à ce qu’il n’y a pas pour lui, comme en peinture, de tradition qui en limite la portée en en forçant l’interprétation.
Présenté simplement, l’objet spécifique vaut en soi. Ne renvoie à rien d’autre. Ni à une réalité extérieure ni à une réalité psychique qu’il représenterait, présenterait ou symboliserait. Il est-là, sans plus. Mais, d’y être de cette manière, il y est plus. Un objet quotidien est connoté d’une multitude de significations qui en atténuent l’existence propre. Une automobile renvoie à des déplacements possibles, à une position sociale (standing), à un système de production, de consommation, etc. L’objet se dilue, pour ainsi dire, dans ses relations extérieures. Pas l’objet spécifique.
Dès lors (et la conséquence n’est paradoxale qu’en apparence) il rend possible pour l’esprit toutes les mises en relation possibles. C’est en cela qu’il est ouvert. Untitled, Stainless steel and yellow Plexiglas. Six 34 inch cubes 1966.


L’objet spécifique n’est pas peinture mais pas non plus sculpture.

-Indivisible (non construit, non composé)
-Immédiat (il ne se révèle pas au regard progressivement).
-Insignifiant (il n’évoque rien)

b. L’empilement
-Légèreté (les boites sont toujours espacées, ne pèsent pas les unes sur les autres)
-Ce n’est pas une colonne (la colonne relie la terre au ciel. La boite la plus basse ne repose pas sur le sol ...
-Il n’a rien d’anthropomorphique (en dépit de la verticalité de l’ensemble, rien ne permet ou suggère l’identification au corps humain). Ci-dessous : Stack Inox plexiglas bleu 470x102.5x79.2 1969.




5. Robert MORRIS (1931 - …)

a. Les formes unitaires (1) (gestalt)
Les formes unitaires sont, comme celles mises en évidence par cette école de la psychologie principalement axée sur la question de la perception et qui a pour nom « Psychologie de la Forme » ou « Gestaltheorie », sont des formes supposées être plus en accord que d’autres avec les données physiologiques de la perception. Un oiseau à qui on aura montré de la nourriture cachée sous un pot de fleurs renversé sera incapable de la découvrir si trois pots identiques sont disposés à la même distance les uns des autres (« mauvaise forme ») mais la découvrira sans hésiter si le pot recouvrant la nourriture est plus espacé des deux autres que les deux autres ne le sont entre eux (« bonne forme »).La sculpture a à découvrir, peut-être répertorier, en tous cas produire ces formes unitaires. The I-Box 1962.


b. Les objets unitaires
Peints, ces objets unitaires à la différence des objets spécifiques de Judd, se marient en outre au lieu de leur exposition, le structurent comme les structures d’André ou les propositions de Flavin. Ci-dessous : Installation in the Green Gallery, New York, Seven geometric plywood structures painted grey 1964.




c. Les sculptures « souples » (Le process art)
Morris s’intéresse aussi au processus objectif de production/destruction de l’objet : le passage de la forme à l’informe (le travail de la matière). La matière, soumise aux lois de la nature, se façonne elle-même. Le cuivre, le fer s’oxydent, le feutre se détend et s’affaisse. Tenture 1969-1970.



d. Les earthworks
Il s’intéresse enfin à la structuration de l’espace naturel ou, plus exactement à la structuration de la perception de l’espace naturel.




6. Larry BELL (1939 - …)

Le matériau de base, pour Larry Bell, c’est le verre. La forme élémentaire : le cube. L’objectif : l’évanescence de la perception. Le verre est vaporisé de diverses substances métalliques indissociables du matériau ; les objets semblent se dématérialiser. Cube n°34 (blue).




7. Richard TUTTLE (1941 - …)

Après des reliefs en bois de petites dimensions, c’est au tissu que Tuttle s’intéresse.



On ne retrouve pas dans le découpage de ces tissus (ou des formes en bois qui précèdent), la rigueur géométrique ou la « modularité » des minimalistes précédemment présentés. On rapprochera davantage les tissus des sculptures « souples » de Robert Morris qui, déjà, figuraient en marge des « principes » minimalistes « orthodoxes ». On entre avec Tuttle dans le post minimalisme.

6. Agnes MARTIN (1912 – 2004)

Une peinture minimaliste, voilà qui fait figure de paradoxe puisque le minimalisme se définit comme abolition de la peinture (toujours suspecte d’illusionnisme). C’est pourtant tout le travail d’Agnes Martin. Ses peintures, toutefois, adoptent strictement un format carré, structuré par un quadrillage rectangulaire: une grille. White Flower acrylic on canvas, 180 x 182.8cm 1963.




7. Robert RYMAN (1930 - …)

Ici, point de quadrillage sur la toile. Mais la peinture . La peinture pure. Non dénuée souvent des traces de la brosse. Classico IV. Ryman interroge en outre la matière en faisant varier le support (toile classique, tissu, etc.) le mode d’accrochage au mur, etc.



On n’est moins ici, sans doute, dans le minimalisme au sens strict du terme (même si les moyens utilisés sont minimaux). Davantage dans une problématique qui est celle de Support/Surface (voir chapitre La mise à mort du Tableau, cours précédent).


8. Robert MANGOLD (1937 - …)

1. Les Walls.

Là encore, on sort de la ligne droite du strict minimalisme. Et d’abord par l’ampleur des œuvres plutôt monumentales et, de ce fait, jouant de l’impact de cette monumentalité sur le spectateur. Brown Wall (huile sur contreplaqué244x244x58cm) 1964.



2. Les Areas
De grandes surfaces colorées, là encore et parfaitement géométriques. Souvent (quoique pas dans 12 V Series (in 2 parts) 1968, ci-dessus) le triangle est l’élément dont la combinaison produit dans l’arc de cercle qui lui impose sa loi, la structure. Voir encore : V series central diagonal I – green 1968 ou Four Triangles Within a circle #2 1975).
L'art minimal est à ranger au côté de l'art conceptuel dont il se distingue pourtant presque plus dans le principe que dans l'application.


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